Anne Bertrand-Callède, Docteur en Anthropologie-Ethnologie-Préhistoire, Nantes, France
Plusieurs mois de travail se sont écoulés au cœur du Cerma, à la découverte du monde des ambiances architecturales et urbaines, qu’elles soient classées « ambiance lumineuse », « ambiance sonore », « ambiance thermique », « ambiance visuelle »…
En tant que préhistorienne, avec pour période de prédilection le Paléolithique Supérieur, ce domaine de recherche me paraissait bien éloigné de celui des hommes préhistoriques, et associer cette époque à la notion d’ambiance architecturale me semblait peu scientifique.
En effet, la notion d’ambiance architecturale se base essentiellement sur la perception sensible de l’environnement construit et du confort et la recherche des ces ambiances se fonde sur l’étude des phénomènes physiques tels que la lumière, la chaleur, l’humidité, le vent, le soleil, l’obscurité, sur la perception visuelle de l’environnement, de l’espace qui nous entoure.
Or peut-on parler d’environnement construit au Paléolithique Supérieur alors que l’homme fait partie intégrante de son environnement naturel qu’il n’a pas encore transformé, qu’il n’a pas encore réellement construit ?
Au Paléolithique Supérieur, période datée de 35 000 ans à 9000 ans avant JC, plusieurs cultures se succèdent. Les hommes vivent essentiellement de chasse, de pêche et de cueillette et tous vivent bien, en petits groupes : ce sont des nomades dont les déplacements sont essentiellement ceux de leur gibier. Le feu est maîtrisé depuis des millénaires, ils enterrent leurs morts, les premières sépultures datant de 80 000 ans avant JC. Tous ont pratiqué l’art, qu’il soit mobilier (sur objet), sur les parois dans les profondeurs des grottes, dans des abris sous roche ou encore en plein air. Ces hommes acquièrent au cours du Paléolithique Supérieur une qualité de vie beaucoup plus évoluée que l’homme contemporain ne l’imagine.
Au niveau de l’habitat, selon la région où il se situe, l’homme du Paléolithique Supérieur vit soit sous tente, lorsqu’il est en plaine, soit dans des abris sous-roche présents au pied des falaises, soit à l’entrée des grottes, parfois dans des cabanes construites à l’aide de défenses et d’os de mammouth comme c’est le cas en Moravie, en Russie et en Ukraine. Nous pourrions parler pour ces dernières de premières architectures, il est plus délicat de la faire pour les tentes.L’image de l’homme préhistorique vivant au fin fond des cavernes est globalement fausse, nous n’en connaissons que de rares exemples.
De façon certaine, en ce qui concerne l’habitat, le choix des campements n’est pas indifférent à l’exposition par rapport au soleil, à sa chaleur et à sa lumière, par rapport au vent, au froid qu’il peut apporter … De plus, il est vraisemblable que ces mêmes phénomènes avaient leurs rôles dans l’aménagement intérieur de l’habitat.
Les grottes ornées sont un domaine beaucoup plus délicat à aborder, même si des phénomènes telle que la lumière, les ombres y ont eu leur importance, au niveau de la perception visuelle. Il est certain que la lumière – artificielle – dont disposait l’homme préhistorique participait à l’animation des figurations pariétales et, d’une façon générale, à l’ambiance mystérieuse des profondeurs des grottes. Nous découvrons aujourd’hui les peintures, les gravures et les sculptures de ces grottes dans un contexte bien distinct de celui des hommes préhistoriques, avec un éclairage très différent…
Les questions relatives au rôle de la lumière, de la chaleur, du vent, de leur importance dans l’habitat préhistorique, dans le monde souterrain des grottes ornées ont bien lieu d’être posées.
Cependant, beaucoup de données nous sont inconnues et qu’il est difficile d’évaluer.Les hommes préhistoriques connaissaient donc le feu. La lumière – en dehors de celle naturelle -, la chaleur étaient apportées dans les habitats par les foyers, que nous retrouvons lors des fouilles. Ils réalisaient également des lampes à graisse dont ils se servaient pour aller dans les zones obscures des cavernes, ainsi que de torches comme nous le montre les traces de mouchage sur les parois. Mais comment mesurer l’importance et le rendu de ces sources d’éclairage ? Si, grâce à l’expérimentation, la puissance lumineuse d’une lampe à graisse nous est connue, nous ignorons leur nombre, leur emplacement.
De même, l’importance du soleil ou de la lumière naturelle dans les abris sous roche ou à l’entrée des grottes est souvent impossible à estimer car l’auvent des abris s’est en partie effondré ainsi que le porche de l’entrée des grottes… lorsque cette dernière est bien celle de l’homme préhistorique.
Suite à ce très bref résumé de la vie au Paléolithique Supérieur, il est facile de percevoir que les phénomènes physiques à la base de la recherche scientifique des ambiances – la lumière, la chaleur, l’humidité, le vent, le soleil, l’obscurité – ont un rôle majeur chez l’homme préhistorique. Il est certain qu’il recherchait déjà un certain confort dans son habitat, que la perception visuelle dans les grottes ornées avait son importance… Mais peut-on franchir le pas et parler d’ambiance au Paléolithique Supérieur alors que l’homme préhistorique n’a pas encore construit son environnement ?
En tant que préhistorienne, je me pose la question, pourquoi faut il que la notion d’ambiance soit liée à un espace construit ? Il est difficile de ne pas parler d’ambiance lorsque nous sommes au cœur d’une grotte ornée obscure, ou dans un abri sous roche ou à l’entrée d’une grotte anciennement habitée lorsque le soleil y pénètre…
Référence : Desbrosse René et Kozlowski Janusz, Les habitats préhistoriques. Des Australopithèques aux premiers agriculteurs, Paris, éditions du CTHS, 2001, 220 p.