Jean-Louis Izard, Architecte, professeur à l'ENSA Marseille, Directeur du Laboratoire ABC (Architecture Bioclimatique et Construction parasismique), France
Quel rôle peut jouer l’architecte pour une construction écologique dans ce siècle promis à des changements climatiques sans précédents dans l’histoire de l’humanité ? La question doit être traitée à trois échelles différentes.
Le bâtiment et la construction
Economiser l’Energie finale et l’énergie primaire : On constate souvent des écarts entre les bilans prévisionnels des bâtiments en projet et ceux qui sont mesurés lorsqu’ils sont exploités : comment prendre en compte le comportement des usagers ? Les conditions du confort d’été ne sont-elles pas aggravées par les dispositions prises pour contrôler l’énergie ? Le confinement des locaux ne contribue-t-il pas à une dégradation des conditions sanitaires intérieures ?
Energie grise et matériaux écologiques : Comment contrôler l’énergie grise investie dans le bâtiment ? Dans quelle mesure peut-choisir des matériaux locaux au risque de les voir rapidement s’épuiser ? L’usage de matériaux produits localement n’est-t-il pas condamné à ne couvrir qu’une part marginale du marché de la construction ? Militer activement pour leur utilisation générale n’est-elle pas une action vouée à une impasse ?
Les énergies renouvelables : L’énergie solaire étant diffuse, il faut mobiliser de grandes surfaces pour produire des quantités d’énergie qui ne soient pas négligeables dans le bilan de la production totale d’énergie. Où prendre ces surfaces ? En priorité sur des surfaces déjà occupées par l’urbanisation : parkings, couvertures de grandes surfaces…etc. Quant à l’espace rural, il est rageant de geler des surfaces cultivables à des fins de production d’électricité photovoltaïque, sous le prétexte que les parcelles ne sont plus aujourd’hui cultivées ! Pour les combustibles à base de bois, leur production ne doit pas entrer en concurrence avec la filière « bois construction ». Ils doivent demeurer le produit de la valorisation de déchets. Mais la combustion des poêles et chaudières à bois à haut rendement n’est-elle pas dangereuse pour la santé, en absence de filtres coûteux à l’investissement et qu’il faut entretenir ? La prolifération des poêles à bois, outre qu’elle risque le tendre le marché du bois combustion, va-t-elle représenter un danger pour les populations au même titre que les moteurs diésel ou l’amiante ?
La santé des occupants : Le problème ici n’est pas tant le recensement exact des causes possibles de pollution de l’air intérieur que le fait que ces questions ne soient même pas posées lors de la conception de notre environnement bâti. Comment faire entrer les enjeux de santé dans les préoccupations des maîtres d’ouvrage et des maîtres d’œuvre sans entrer en conflit avec les exigences énergétiques ?
La ville
La question urbaine est présente à travers la mobilité en liaison avec le phénomène de l’étalement urbain. La lutte contre cet étalement se heurte à deux objections : La « Loi de Zahavi » qui constate que l’augmentation des vitesses des déplacements (collectifs ou individuels) incite les habitants à aller résider plus loin. L’autre concerne le conflit avec les facteurs de « l’Ilot de Chaleur Urbain ». Il faut donc manier la densification avec prudence et développer parallèlement le patrimoine vert de la ville et échapper au dilemme ville verte de faible densité/Ville dense de faible verdissement. Plus globalement, la grande question est celle de « l’empreinte écologique » de la ville et les moyens de la réduire. Ne faudrait-il pas que la ville devienne « bioproductive », ce qui changerait radicalement la manière de la concevoir ? Les cités-jardins par le passé1 et les jardins partagés aujourd’hui2 ne sont-ils pas précurseurs de cette ville capable de subvenir elle-même à une partie de ses besoins en exploitant une partie de ses déchets ?
Le monde
La démographie mondiale : comme le rappellent Hervé Domenach et Michel Picouet3, l’impact sur l’environnement (I) est le produit de la Taille de la population (P) par la consommation des biens par tête (A) et par la Technologie (T). Une autre manière d’exprimer cette équation explicite encore mieux les facteurs sur lesquels il faut agir : Dégradation = Population x Production/Population x Pollution/Production. Tous les progrès que l’on pourra enregistrer sur les rapports Production/Population (en allant vers des comportements plus sobres de la population) et Pollution/Production (en améliorant l’efficacité environnementale des procédés de production, y compris dans le secteur résidentiel et tertiaire) seront compensés in fine par la taille de la population, qui continue à croître.
Conclusion
Le problème auquel nous sommes confrontés est d’ordre mondial : le monde est une échelle à laquelle il est difficile d’agir : il suffit de constater les échecs des tentatives de régulation que constituent les sommets de la terre à cause des intérêts divergents entre les pays riches et les autres, avec des évolutions démographiques et des niveaux économiques très différents, face à des opinions publiques et des gouvernants obsédés par des indicateurs comme le PIB qui présente la croissance comme le remède à tous les maux.
Face à l’énormité de ces enjeux, que pèsent les idées et les actions des architectes ? Ne leur reste-t-il pas que l’action locale ? Sans doute, il faut préparer les architectes à intervenir pour adapter nos bâtiments à l’inévitable réchauffement planétaire prévu dans les décennies qui viennent, puisqu‘il semble que le CO2 émis jusqu’ici est déjà suffisant pour modifier le climat sans possibilité de retour en arrière. Ce que nous savons de ces perspectives est que l’échauffement sera plus fort là où il fait froid (zones polaires), en hiver plus qu’en été (sans toutefois que disparaissent des épisodes très froids) et la nuit plus que le jour : il y a là des pistes de réflexions sur la manière de construire au XXIe siècle dans les pays développés en zone de climat tempéré, et notamment en zone méditerranéenne, pour que la vie des habitants soit la plus acceptable possible, hors les conséquences socio-économiques que le bouleversement climatique ne manquera pas d’entraîner.
1. Jean-François & Nicolas Champeaux, Les cités-jardins, un modèle pour demain, Sang de la Terre, 2007.
2. Laurence Baudelet, Frédérique Basset, Alice Le Roy, Jardins partagés, utopie, écologie, conseils pratiques, Terre vivante, 2008.
3. Dans le fascicule Population et Environnement, PUF Que sais-je ? 2000 ; où ils citent un article de B. Commoner intitulé « Rapid Population Growth and Environmental Stress » publié en 1988.