Ricardo Atienza, Architecte. Docteur en Urbanisme/Architecture. Enseignant à Konstfack, University of Arts and Crafts, à Stokholm, Suède. Chercheur associé au Laboratoire Cresson, France. Damien Masson, Docteur en Urbanisme/Architecture. Chercheur associé au Laboratoire Cresson, France
Comment faire écouter des annonces sonores dans un lieu d’usage public comme le métro afin de pouvoir « tester » leur efficace en situation ? Telle est la question de départ à laquelle nous avons été confrontés récemment lors d’une commande opérationnelle1 portant sur la compréhension de ces annonces par des passagers afin d’en proposer des améliorations.
Pour cela, une investigation particulière, mêlant expérience quotidienne et simulacre, a été menée afin de recueillir une parole d’usagers du métro parisien sur des annonces sonores données à entendre in situ. Les annonces ne sont ainsi pas uniquement évaluées sur le plan de leur compréhension, mais également à celui de leur « effet pragmatique », autrement dit : qu’est-ce qu’une annonce entendue produit dans un cours d’action ?
Le simulacre comme principe fondamental pour une « simulation située »
Afin de restituer des annonces sonores spécifiques dans le métro tout en tenant compte de l’impossibilité de diffuser des messages inadéquats en contexte d’usage public, nous avons mis en place un protocole fondé sur un principe de simulacre. Des annonces sonores originales ont été composées pour être diffusées par l’intermédiaire d’un walkman à des enquêtés volontaires, au sein d’une station du métro parisien. En procédant de la sorte, il s’agit d’inviter alors les passagers/enquêtés à réaliser des traversées sonorisées. Autrement dit, de réaliser des parcours (situés, de fait) dans lesquels l’environnement sonore donné à percevoir se superpose (et parfois se substitue) à la réalité tout en s’efforçant d’y ressembler le plus possible. Pour cela, des annonces ont dues être préparées.
Scénographie des annonces
Enregistré dans des conditions proches de celle de studio, le message suivant a vocation à être diffusé aux enquêtés par le biais d’un walkman muni de mini-écouteurs « perméables » situés au creux des oreilles.
Pour favoriser au mieux l’insertion de cette annonce dans l’environnement sonore de la situation d’enquête, et par là même évaluer le plus finement possible sa réception en situation, ce message a du être mis en scène. Ainsi, un ensemble de filtres lui ont été appliqués pour s’approcher au plus près des conditions sonores de diffusion en station, caractérisée en particulier par des effets de réverbération (d’origine architecturale) et de filtrage (dus au matériel de diffusion).
Dans un troisième temps, le message a été « habillé » par un contexte sonore correspondant aux situations de l’expérience de terrain en étant inséré sur un enregistrement préalable de la même ambiance sonore correspondant à la situation d’enquête : ici une des galeries de la station Châtelet.
In situ
L’intention méthodologique est de placer les enquêtés en situation quasi quotidienne. Ainsi, les annonces ne sont pas évaluées pour elles seules, mais sont plutôt observées leurs effets sur le cours d’action d’un enquêté placé en situation de voyageur quotidien. On approche ainsi, sans la porter jusqu’aux dernières conséquences, la situation de « jeu de rôle », où l’implication de la personne dans l’action (l’intention dans ce cas) devient un élément fondateur.
Faisant émerger la parole en contexte, ce protocole de nature plutôt expérimentale permet toutefois de créer une situation de réception des annonces sonores aussi proche que possible de la réalité de l’environnement concerné. Pour cela, il a été particulièrement utile de faire écouter certains messages en mouvement, dans des environnements sonores diversifiés (galeries, quais, escalators) afin : 1) que leur écoute ne soit pas facilitée par l’instrumentation technique, et surtout 2) que la situation – et non une « idée » de celle-ci – soit transformée en profondeur. Certaines observations témoignent en faveur de l’effet pragmatique du protocole. Nous avons ainsi pu remarquer un ensemble d’attitudes relatives à l’émergence des messages en situation :
- de modification des focalisations de l’attention : sur les autres, sur le mouvement, sur une information « fiable » (plan du réseau, iPhone, écrans de contrôle, agents RATP) ;
- de modification de direction du mouvement : exploration spatiale, pas saccadés ;
- d’incertitude des choix opérés en acte : entre l’accompagnement du mouvement des autres ou l’arrêt pour la réflexion etc.
Ces attitudes rendent manifestes le potentiel d’effet concret des annonces et pointent par là même un enjeu fondamental de la question de l’information située (sonore, ou de tous types) : son aptitude à orienter les corps. Ces observations ouvrent ainsi un chantier de réflexion sur la relation information/action en situation, et invitent par là même à se poser la question des effets « ambiantaux » de l’information contextualisée.
1. Cf. ATIENZA R. & MASSON D. (2010, à paraître). Des annonces à l’ambiance. Qualification et amélioration des situations de diffusion et de réception des annonces sonores dans le réseau ferré de la RATP. Rapport de recherche. Vincennes : RATP Département Développement Prospective